Les 3^es comme tout bon 3^e qui se respecte, doivent suivre un programme d’histoire qui commence tous les ans par la mort de l’emplumé de Sarajévo et les joyeuses soirées dans les tranchées. C’est quand même fantastique d’accueillir des ados en pleine puissance, les pieds encore recouverts du sable de l’été, et les yeux pleins d’étoiles des sorties post confinement entre potes, avec ce genre de sujet qui fleure bon l’odeur du canon.

Mais passons, l’Éducation Nationale est pleine de surprises et de masques. Mais ce matin je me demande si les étoiles ne se sont pas déjà éteintes et si le sable n’aurait pas complètement grippé la machine. On parle alliance entre alliés, colonies mais pas de vacances, et de territoires perdus puis retrouvés. Et comme je suis une adepte des devinettes, je me lance tel le poilu imberbe en début de drôle de guerre, la fleur au fusil.

- Alors, dîtes-moi connaissez vous le nom de la région française perdue lors de la guerre de 1870, et qui est passée successivement dans le giron français puis allemand ?

Encore un silence qui fait peur. Je me répète mais moi le silence ça me colle de ces angoisses ! Donc région, pas sûre ; guerre 1870, j’ai un doute, giron bon ben clairement ils ne l’ont pas. Même joueur rejoue.

- C’est une partie de la France, à l’est ? Ça vous parle plus ? Victoire !!! un doigt levé ! Christobal a une idée. Christobal, il est chouette, il plane un peu, peut parfois être en décalage, pas toujours sûr de la destination comme son ancêtre Colomb, mais il est drôlement chouette. - Oui Christobal, tu as trouvé ? - Non mais l’ Est c’est en haut ou en bas ?

Là on est au-delà du jetlag, mais pas de souci, je dessine une rose des vents rapidement, Nord Sud Est Ouest. Tout est sous contrôle. Attention, indice supplémentaire.

- Une région à l’Est, ils ont une spécialité culinaire à base de saucisses, c’est un plat unique !

Nouveau doigt levé, cette fois c’est Garcimore qui se lance.

- Hihihi le couscous hihi ?

Bien tenté mais je rappelle à toutes fins utiles que ni le kebab, ni la pizza, ni le burger et ni le couscous ne sont des plats nés chez Bocuse, ni à l’Elysée. Donc faisons fi de la semoule et des pepperoni et revenons à nos jarrets ! Et là Colomb se reprend, il relève le doigt, il a effectivement entendu parler de la fameuse choucroute de Maitre Kanter et lance tout fier : - L’Alsace et la Turquie ! Bon bon, à un poil de saucisse près on y était, c’est quand même ballot.

Laissons là nos poilus pour accueillir les 6^es, petits nouveaux, prêts pour de nouvelles aventures. Et dans cette classe, nous avons la chance d’avoir une voix exceptionnelle, une cantatrice de premier ordre, une jeune fille dotée d’un organe époustouflant, La Castafiore herself, en pleine imprégnation de son nouveau rôle « la sirène des pompiers » !

Une représentation en 36 actes, comme autant de semaines dans l’année des valeureux héros masqués. Et ce matin, il est prévu un peu de calcul mental pour se mettre en jambes. Nos jeunes camarades ont annoncé en début d’année, qu’ils n’aimaient pas les maths, et que pour quelques uns ils étaient même carrément nuls. Alors ma collègue, Clary, la serial tricoteuse, les a prévenus que j’étais une sorte de magicienne, et qu’ils allaient un jour aimer les maths. Promis, juré !

Sur ce coup, je la trouve bien optimiste parce que le chantier de la Chapelle Sixtine à côté c’est du pinceau ! Mais bon je sors mon tutu de fée, ma baguette de magicienne et je grimpe sur ma licorne. Enfin je prends mon cartable, mon thé et hop on entre en classe.

La feuille est distribuée et malgré mes explications limpides sur le principe du calcul mental, la Castafiore a visiblement loupé une information. La voilà qui pose consciencieusement toutes les opérations sur une feuille de brouillon.

- Hum dîtes moi chère Artiste, n’auriez vous pas compris le principe du calcul mental ? - Huuuuuuuuuuuu mais c’est nuuuuuullll moi je ne comprends paaaaaaaaaaaaaaaas. Huuuuuuu mais pourquoi je n’ai pas le drooooiiiiittttt ? - Pas la peine de le lancer à la cantonnade, chère amie, j’ai compris le message. Mais le calcul mental c’est pour réfléchir, on fait les opérations dans sa tête. C’est un exercice spécial. -Huuuuuuuuuu mais déjà on n’a pas le droooooiiiiitttttt de prendre la calculatrice.. Huuuuuuu mais moiiiiiiiiiii j’en ai maaaaaaaaaaaaaaare. C’est trop difficiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiile ! Huuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu !!!!!!

Pas facile les caprices de star et son voisin, digne et calme comme un majordome anglais en pleine Boston Tea Party, prend les choses en main et lui explique avec un flegmatisme qui force le respect : - Le calcul mental, c’est dans le cerveau, tu dois réfléchir à l’intérieur de ta tête, dans ton esprit. Un autre profite du calme relatif pour aider : - Moi non plus je ne comprends pas, alors je ne n’ai rien fait . On va dire que je n’ai rien entendu, ( mais Pépère, commence à compter tes abatis parce qu’une fée ça n’oublie rien), et entre deux hoquets de la Castafiore, j’en profite pour lui couper la sirène et enchaîner : - Bon Castafiore, tu te rappelles ? M^me Serial tricoteuse, elle a dit que j’étais une fée ? Que je faisais de la magie en mathématiques ? Le sourire revient, elle est suspendue à mes lèvres… - Alors ce matin je vais faire mon premier tour de magie. Tu es prête ?

Ce qu’il y a de bien avec les 6^es, c’est que la magie ça fonctionne toujours. Les maths, ça n’est pas toujours difficile, parfois il faut comprendre, parfois il faut juste appliquer. C’est comme les sciences. Un jour, un barbu à Syracuse, occupé à faire ses ablutions a prononcé le fameux Eureka, pour une histoire de masse et d’eau, et pourtant ça n’est pas facile à comprendre son affaire. Et puis il faut admettre que ça n’a qu’un intérêt relatif au quotidien des mortels qui veut jouer avec son canard dans son bain.

Par contre il est plus facile à comprendre qu’un utilisateur de téléphone qui tente de faire faire ses ablutions avec son appareil, n’a pas besoin de crier Eurêka, ni de calculer des masses. Il comprend vite qu’il faut juste laisser le dit appareil dans un sac rempli de riz, histoire de lui rappeler son pays de naissance, de créer un environnement propice à la nostalgie, et donc lui redonner goût à la vie.

Donc aujourd’hui, je montre juste comment on applique, les yeux de la Castafiore s’illuminent. Hop hop hop on ne laisse pas filer l’occasion. - Allez on fait 5 calculs supplémentaires, pour vérifier que c’est bon pour tout le monde. Et zou un sans faute pour la Castafiore et Pépère ! Mission accomplie ! Et on applaudit qui ? La fée bien sûr. J’accepte ce vibrant hommage avec plaisir et je profite à fond du plaisir de les voir sourire sous leurs masques.

La Castafiore applaudit à tout rompre, et se retourne, découvre son public qui applaudit aussi ! Quel bonheur ! Et d’un coup elle me regarde, comprend le pourquoi de toute cette belle agitation ! Ou pas….

- Ohhhhhhhh Madame la fée !!! C’est aujourd’hui ton anniversaiiiiiireeeeee ! Tu n’aimes le chocolat ??? Tu n’aimes les gâteaux ???? Tu veux que je te fasse un gâteau au chocolat pour ton anniversaire ??? Dis ouiiiii Madame la fée !!!!!

Heureusement Alfred, le majordome toujours flegmatique : - Castafiore, ça n’est pas son anniversaire ! On applaudit parce que c’est une fée, et que tu as compris le calcul mental. - Huuuuuuu ahhhhhh ouiiiiiii !!!! Clap de fin