La rentrée c’est un mot qui rime avec nouveauté, tongs rangées, mais surtout tous masqués et gel à volonté. Et ce qui chez Madame Claude serait la recette d’une soirée réussie, devient dans un collège bien moins fun et surtout moins résille. Quand les 3^es sont entrés dans la classe, après l’agitation d’usage pour savoir s’ils pouvaient s’asseoir où ils voulaient ( je dis toujours oui le premier soir, euhhh premier jour ), on peut enfin parler dans un silence relatif. Et donc je fais le tour, alors les vacances, tout ça tout ça..

- Chaton ? Alors cette rentrée ? - C’est nul cette année y a que des vieilles.

Hummm alors ça c’est de la réflexion hautement pédagogique de rentrée qui sent les bas varices et les couches confiance. Alors oui il y a eu un turn over dans l’équipe, non nous n’avons pas de sortants de l’École des sado maso de l’Éducation Nationale, mais quand même, rien de croulant à l’horizon. Je lui fais donc subtilement remarquer que sauf erreur, je ne suis pas d’un âge canonique, que la peau de mon visage n’est pas aussi distendue que celle d’un sharpei, et que même sans être aussi alerte qu’une pompom girl de 17 ans, je pourrais sans effort doubler un escargot de Bourgogne lancé à pleine vitesse sur une feuille de salade encore humide de la rosée matinale et printanière.

Il semble dubitatif et en pleine réflexion. Il me regarde avec l’œil torve du maquignon, qui juge un cheval à la foire aux bestiaux de la Motte Beuvron et un peu lassé finit par rendre son verdict. - Ouais, vous, vous êtes mi-vieille.

Chaton a vraiment le sens du compliment. Il a réussi en une expression à me sortir de l’Ehpad pour m’envoyer directement au club des semi-croustillants. En tout cas, en psychologie féminine, Chaton est aussi doué que moi en mécanique des fluides, mais pour l’apprentissage des fractions je crois que l’on tient une piste.

Une fois remise de mes émotions, on se lance dans la découverte des manifestations de l’activité terrestre, notre bonne vieille Terre qui a elle aussi des soubresauts quand on lui fait des réflexions sur son âge soit disant avancé. Les activités lancées, je me rapproche de Yakari notre ami des animaux, qui selon la rumeur aurait dessiné un attribut masculin sur un de ses cahiers.

D’un naturel curieux, comme toute vieille qui se respecte, je me lance : -Dis moi Yakari, j’ai entendu parler de tes talents en dessin. Tu m’expliques ? Yakari, rougit derrière son masque et tente de faire l’innocent. Seulement quand Yakari fait l’innocent, c’est aussi réussi que la tentative de ma grand-mère de faire un numéro de claquettes sur une plage de sable fin. Et il n’est pas aidé, cette fois, par son voisin Garcimore qui en a même arrêté de découper sa gomme toute neuve pour rire franchement.

C’est quand même beau l’esprit de camaraderie. La technique fatale : l’œil qui frise, ça marche à tous les coups. Mais la technique de Yakari, l’ami des animaux est elle aussi imparable.

- Ahh ouiii, j’ai dessiné… un… moustique, mais je n’ai pas eu le temps de faire les yeux.

Je ne suis jamais contre un fou rire. Donc les gars, sachez que maintenant votre virilité, n’est qu’un moustique sans yeux, et ça ça remet quand même sacrément les choses à leur place. L’homme de Vitruve peut ravaler sa morgue et serrer les cuisses. Non mais !

Après la chasse aux moustiques, je réceptionne la classe de 4^e, et pour mieux les connaître, j’ai l’habitude de leur faire passer un petit questionnaire en début d’année. Ça permet de découvrir que Maitre Gims est bien rangé dans les chanteurs selon eux et non dans la liste des enseignants. Et dans ce questionnaire, une interrogation sur leurs goûts alimentaires, qui se résument souvent aux trois standards de la cuisine française : le kébab, le burger et les pâtes. Et dans leurs aversions se retrouvent sur le podium : le chou fleur, les épinards et les choux de Bruxelles..Du grand classique. Alors quand je tombe sur une pépite, je me lèche les babines. Lucky Duke a déjà fini de compléter son document. Lucky Duke est rapide, mais moins efficace que son presque homonyne Lucky Luke. Il doit souvent tirer plusieurs fois avant d’atteindre sa cible. Et là je remarque qu’il n’aime pas un plat, un plat un peu original ma foi. Il déteste manger du pivert.

- Dis donc Lucky Duke, tu en as de la chance, parce que le pivert on n’en mange pas souvent ! - Ben si ma Mamie, elle en fait tout le temps quand on va manger chez elle. Bon le doute m’assaille, si le pivert est sur la liste des espèces protégées par la convention de Genève, Mamie risque gros,mais elle pourrait s’en sortir. Mais si c’est papy qui a la gâchette facile, les choses pourraient se compliquer. - Ahh et Papy est braconn.., euh chasseur ? -Ben non pourquoi ?

Je sens que l’affaire se complique, parce que sauf erreur, le pivert n’est pas vraiment en vente libre et je n’ai pas non plus entendu parler d’une opération de rentrée sur le dit animal chez le boucher du coin. Mamie serait-elle en affaire avec Ma Dalton pour se fournir en gibier ?

- Ma Mamie les achète au Carouf quand elle fait ses courses, il y en a plein là-bas. - Des piverts ? Tu es vraiment sûr ? - Ben oui, et en plus c’est pas bon. - On est d’accord ? Le pivert c’est un animal ? - Oui - Genre oiseau, avec des plumes et un long bec qui lui permet de percer les arbres ? - ben j’en sais rien quand je mange il n’a pas de plumes et ma Mamie ne laisse pas la tête.

Et là je sens bien que Lucky Duke se demande s’il n’a pas affaire à une de ces vieilles qui commencent à perdre la boule aussi rapidement qu’un élève de CP perd ses billes face à un grand de CM2, et il s’agace vraiment parce que les piverts c’est dégueu et pis c’est tout !

Mais là elle en a sous le pied quand même la vieille, et je montre ma main. - Ton oiseau, c’est à peu près cette taille ? - Ben oui pfff - Dis moi ma caille, ton oiseau ça n’en serait pas une de caille ?

Illumination, révélation, on verrait presque le luminescent et emplumé Archange Gabriel délivrer la vérité à notre Lucky Duke. - Ouais !!!! C’est ça qu’elle fait ma mamie avec des raisins, des cailles, et c’est vraiment dégueu !