La journée avait commencé sous les meilleurs auspices à 8 h. Les évènements de l’année 1789, leur classement, leur description m’avait rapproché de l’orgasme pédagogique. L’orgasme pédagogique pour un enseignant c’est un moment magique, la probable intervention divine du Dieu de l’Éducation Nationale…Les élèves semblent d’un coup touchés par la grâce et deviennent aussi merveilleux que les acteurs des vidéos Canopé. Ces acteurs qui sont assis le dos bien droit contre le dossier de leur chaise, le doigt levé, le sourire aux lèvres et la raie sur le côté.

Alors quand la classe est revenue une heure plus tard pour faire des maths, je n’ai pas senti l’embrouille. Au programme du jour, trois ateliers : deux en autonomie et un que je dois prendre en charge. Je laisse donc mes 4 gars avec leur exercice de symétrie animalière. But de la manœuvre : choisir un animal et terminer l’autre moitié en symétrie. Un plan qui doit se dérouler sans accrocs. Enfin ça c’était avant l’intervention de Yakari, l’ami des animaux.

Yakari, il aime les animaux, tous les animaux. Même ceux qui n’existent pas, et ça c’est chouette. Parce que nous on est toujours heureux de découvrir de nouvelles espèces. Déjà l’an dernier, Yakari nous avait raconté sa rencontre avec de joyeux mais dangereux insectes, venus d’une contrée lointaine.

Avec son papa, Yakari était parti en reconnaissance, tel un explorateur des temps modernes, dans un biotope encore mal connu : l’arrière du parking de l’hypermarché de Petzouille les clochers. Un milieu hostile où les courageux humains qui s’y risquaient prenaient toutes les précautions pour ne pas se perdre. Et donc là, Yakari, en embuscade entre une palette de bricks de lait et une file de chariots en fin de vie avait repéré un nid de guêpes africaines. Ne connaissant pas la bestiole, j’ai donc interrogé Yakari pour en savoir plus. Ces fameuses guêpes africaines viennent d’un continent lointain et sont responsables de l’extermination de nos chères abeilles. Une fois remis complètement de son jetlag, Yakari pensait savoir que nos scientifiques avaient décidé finalement de les appeler frelons asiatiques. Même le grand Colomb a fait des erreurs, alors Yakari peut bien se mélanger les hyménoptères.

Mais cette semaine, Yakari avait un problème avec son dessin. Je l’entends râler, gommer, râler. Alors je vais le voir.

- C’est quoi le problème, Yakari ? - Je n’y arrive pas, il est trop dur à finir le lion. - Le lion ? Mais il n’y a pas de lion dans les fiches.

Alors Yakari regarde attentivement sa fiche et ..

- Ah oui c’est vrai, les lions ont les oreilles carrées. - Carrées ? Tu es sûr ? - Oui, enfin pas pointues. - Effectivement, on peut voir ça comme ça. Mais le lion est surtout reconnaissable à une autre particularité physique. - Les oreilles ? - Non pas les oreilles. C’est plutôt autour des oreilles.

Et me voilà lancée dans une séance de mime, où l’on doit deviner l’attribut du roi de la savane. Les bras en demi cercle, je fais de grands gestes autour de mes oreilles.

Première tentative : une couronne. Je me sens flattée, une vraie posture royale, mais non. Même joueur rejoue. Je continue mes mouvements, toujours plus arrondis, toujours plus gracieux :

- Une auréole ? tente le pote de Yakari. - Non les gars, je ne suis pas encore en odeur de sainteté. Allez on réfléchit, le lion il a quoi autour de la gueule ? Yakari, tout sourire.. - Des poils ?? - Ouiiii, des poils, mais cela s’appelle comment ? Tous ces poils ??

Un long silence, pendant que je continue mes tentatives de mime. Mais je n’ai visiblement pas le talent du gars Marceau.

Yakari tente le tout pour le tout, il se redresse et d’un ton mâle qui ne laisse pas planer le doute jette son dernier atout : - Une Tuffe !

Il semble sûr de son coup le gaillard. Par contre moi les bras en l’air, la bouche ouverte, j’ai comme un doute..Une tuffe ?? Vraiment ?? Finalement Yakari est sûrement un génie incompris dans le mondes des zanimals ! Je remballe ma crinière, ma tuffe et mes poils et pis c’est tout.

A peine remise de mes émotions, voilà Choupinouich et sa bande. Tout se passe bien, les chatons se mettent au boulot, certains ont besoin d’un coup de main, d’autres sont lancés et avancent dans leur plan de travail. J’en profite donc pour aller aider Terminator qui est aussi doué en géométrie que moi en lecture des runes du I^e siècle.

Le souci avec Terminator c’est qu’il a du mal à tenir l’équerre, le crayon et la feuille. Dans ses déplacements spatio temporels il a du perdre en dextérité, c’est pénible les déplacements spatio temporels. Il manque toujours un bout à l’arrivée. Mais avec Terminator et nos 4 mains, on s’en sort pas si mal. Juste une impression d’être observée me titille, je lève les yeux et là je vois Droppy qui me sourit à pleines dents. Je réponds avec le même sourire, et j’attends. Il a sûrement quelque chose à me demander.

- Oui Droppy tu veux quelque chose ? - Ouiiii. Cédric aime les chips. - Hummm bien et alors ? C’est important maintenant, de le savoir ? - Ben oui, Cédric aime les chips.

C’est qu’il insiste le gars. Soit il travaille pour Radio Londres soit j’ai loupé un truc.

- C’est bon les chips les garçons, mais là on fait des maths. - Mais Madame !!! Cédric aime les chips. - Oui j’ai compris, Cédric aime les chips, moi aussi j’aime les chips, l’été avec des saucisses, des merguez.. Voilà. - Oui mais Cédric aime les chips, ça rime.

Silence.

- Ah ben non ça ne rime pas Droppy.. Cédric aime les briques, là ça rime..Mais je sais c’est moins bon les briques avec les saucisses. Ça croque un peu sous les dents.

Définitivement Droppy ne travaille pas pour Radio Londres. Et pour la Pléiade c’est pas gagné non plus.